LE MONDE

Pour la presse, la vague verte change la donne politique brésilien

Mathilde Gérard
04.10.2010
Foto - Le charisme de la métisse Marina Silva, ancienne récolteuse de latex de l'Etat d'Acre, a contribué à ce que le Parti vert devienne la troisième force politique du pays.

Jouera-t-elle le rôle de faiseuse de roi que lui prédisent nombre d'analystes ? En obtenant 19,55 % des voix, près de six points de plus que ce qu'annonçaient les sondages, la candidate du Parti vert (PV) Marina Silva est la grande surprise de la présidentielle brésilienne du 3 octobre. "Nous sommes victorieux, a déclaré la sénatrice de l'Etat d'Acre après l'annonce des résultats, bien que nous n'ayons pas notre ticket pour le second tour, car nous avons réussi à casser l'idée d'un plébiscite [en faveur du parti au pouvoir]."
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Non seulement Marina Silva prive le Parti des travailleurs (PT) d'une victoire dès le premier tour, mais en obtenant une confortable troisième place, elle est en position de rythmer l'agenda politique des deux candidats en ballottage, Dilma Roussef (PT) et José Serra (sociaux-démocrates, PSDB), qui vont désormais s'attacher à courtiser les voix de la "vague verte" pour le second tour, le 31 octobre.
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Dans un entretien au portail d'informations brésilien Terra Magazine, le sociologue Antonio Lavareda explique que les voix de dernière minute gagnées par Marina Silva lors du scrutin l'ont été au détriment de la candidate du PT. "Comme [les voix] de José Serra sont similaires à ce que les sondages lui prédisaient dans la dernière semaine de campagne, il est probable que la percée ultime de Marina Silva soit due à la soustraction de voix initialement portées sur Dilma Roussef."


UNE AUTRE IMAGE DE LA POLITIQUE
Pour l'éditorialiste politique Eliane Cantanhede, du quotidien Folha de Sao Paulo, Marina Silva a su tirer parti des "effets corrosifs du scandale Erenice Guerra sur la campagne de Dilma Roussef" – la directrice de cabinet de Lula, Erenice Guerra, a été contrainte à la démission le 16 septembre, après des accusations de trafic d'influence. Mais "Marina", comme l'appellent désormais les Brésiliens, dément cette thèse, selon des propos rapportés par l'hebdomadaire Istoé. "Les personnes qui ont voté pour moi l'ont fait parce qu'elles s'identifient à moi", explique l'ancienne seringueira – récolteuse de latex –, issue d'une famille nombreuse et pauvre de l'Etat amazonien d'Acre, faisant valoir que le PV a pris soin de ne jamais entrer dans une "stratégie de 'full-contact' électoral".
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Reste que l'image d'intégrité morale de la candidate écologiste a certainement joué, face à deux partis, le PT et le PSDB, fréquemment taxés de clientélisme. En mai 2008, l'ancienne ministre de l'environnement avait démissionné du cabinet Lula, estimant ne plus pouvoir exercer dans un gouvernement peu intéressé par les politiques de développement durable. Un an après, elle quittait le PT pour rejoindre les Verts. Sa détermination de fer et son engagement continu pour l'environnement ont fait d'elle un contrepoint à un Parti des travailleurs pragmatique, parfois peu sourcilleux de la morale politique, prêt à sacrifier les questions écologiques sur l'autel de la croissance économique.
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L'ENVIRONNEMENT, PARENT PAUVRE DU LULISME
Luiz Inacio Lula da Silva ne s'en est jamais caché : "L'environnement doit être protégé, sans qu'on sacrifie le développement du pays." Plusieurs projets du gouvernement controversés ont suscité l'opprobre des associations écologiques, notamment la construction d'un gigantesque complexe hydroélectrique de Belo Monte, dans l'Etat du Para, qui menace la biodiversité de la forêt et des fleuves de la région. Pour Marina Silva, les politiques au pouvoir doivent désormais prendre conscience que "les questions d'environnement n'intéressent pas qu'une minorité".
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Dimanche soir, la candidate écologiste, la voix enrouée par l'émotion, a refusé de se prononcer sur l'un des deux candidats en lice pour le second tour, rapporte l'hebdomadaire Veja, et indiqué que le Parti vert se réunira en instance plénière dans les prochains jours pour décider de son soutien. Toutefois, le journaliste Ricardo Noblat d'O Globo – puissant groupe de médias de Rio de Janeiro – estime très probable, dans un édito vidéo, que le PV "reste neutre et laisse ses électeurs suivre leur propre chemin". Marina Silva a d'ailleurs indiqué que pour compter sur ses 19,5 millions de voix, Dilma Roussef ou José Serra devront adapter leur programme au sien ; l'écologiste laissant ainsi entendre que sans geste substantiel, le PV ne se prononcerait pas.
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Dans ce contexte, quel sera l'avenir politique de Marina Silva ? La principale intéressée refuse de se prononcer et écarte toute prise de fonction ministérielle, que ce soit dans un cabinet Roussef ou Serra. Ella a indiqué son souhait de retourner à la société civile, lorsque son mandat de sénatrice d'Acre arrivera à échéance, en fin d'année, rapporte le blog politique d'O Globo. Mais cette stratégie serait aussi une façon de se préserver, en vue d'un retour à plus long terme sur le devant de la scène politique. Pour Ricardo Noblet, "Marina est un prénom sur lequel il faudra compter lors de futurs rendez-vous, notamment en 2014, quand aura lieu la prochaine présidentielle". "Il reste à savoir si elle saura faire du PV un parti établi, non-notarial, capable de porter son projet politique", conclut le journaliste.

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